Dionysos, le dieu différent

notes de lecture de "L'Univers, les Dieux , les Hommes" de Jean-Pierre Vernant

Dionysos, un dieu à part dans l'Olympe : dieu errant, vagabond, de nulle part et de partout. Pourchassé depuis avant sa naissance, il fuit, il se cache, il erre sur la Terre. Il est caché par les Nymphes, puis par Thétis pour échapper à Lycurgue. Ce n'est pas une posture facile à vivre pour un Dieu ! Il part en orient, puis il revient en Grèce pour faire reconnaître son culte. Il est de nulle part, mais en même temps il veut être reconnu, avoir sa place.

Il représente la figure de l'Autre, différente, déconcertante, anomique. A peine arrivé quelque part, il se répand comme une épidémie, il s'impose, l'altérité fait connaître sa présence. Il propose un rapport beaucoup plus proche, intime, personnalisé aux humains que les autres dieux. C'est un rapport hypnotique, un fac-à-face direct.
Mais en même temps, c'est peut-être le dieu le plus éloigné des hommes, le plus inaccessible et mystérieux. On ne peut pas le ranger dans un cadre, dans une case. Il est présent et absent à la fois. Il y a une tension entre l'errance, le voyageur toujours de passage, et le fait de vouloir être chez soi quelque part, partout où il passe, d'être reconnu, voire même choisi !

Dionysos est entouré d'une armée de femmes, elles n'ont pas les armes classiques du guerrier grec, elles ont leurs thyrses, ces bâtons magiques aux pouvoirs foudroyants qui mettent en déroute les armées ennemies. Dionysos est ambigu dans son genre. Il est habillé comme une femme, porte les cheveux longs, il est le métèque oriental, séducteur aux beaux yeux noirs, beau parleur : tout l'oppose à l'idéal de l'homme grec (Penthée), le soldat, le fier héros qui comme Achille préfère sacrifier sa vie pour quelques instants de gloire qui resteront dans la postérité.
Les Ménades, cette armée dionysiaque, recréent dans la forêt un Age d'Or, où la nature était en harmonie parfaite, pas de prédateurs, pas de proies, pas de victimes, les êtres humains parlent aux animaux, les femmes nourrissent les lions au sein, les sources abondantes font couler l'eau pure et le vin.
Mais cette image idyllique se transforme instantanément en scène de la plus intense sauvagerie, d'une violence inouïe, bestiale, primaire, animale, quand le regard de l'homme moderne qui a oublié ce pacte avec la nature vient regarder sans y être invité, en voyeur envieux, admiratif, mais possessif et jaloux en même temps. C'est la folie meurtrière qui se déchaîne, l'Harmonie fait place à la Barbarie, comme les Grecs imaginaient les étrangers (comme Dionysos), ceux qui ne savent pas être nobles et maîtres d'eux-mêmes.

Photos auteur : Fresque de Lycurgue, Musée gallo-romain de St-Romain-en-Gal, près de Lyon